Bon allez c'est partis, le temps je l'ai pris...
voilà le point qui m'a vraiment interpellé dans ton message.
C'est une très vaste question et qui me tient particulièrement à coeur parce qu'elle est devenue une des problématiques centrales de mon intérêt/passion pour l'Histoire toute entière.
C'est quoi un sauvage? Ca existe vraiment dans notre monde un sauvage?
La "sauvagerie" plus globalement c'est quoi? C'est quasiment synonyme de barbarie en fait, et barbare peut être aisément interverti avec "sauvage".
Je vais reciter ma série préférée (qui l'est pour cette raison), à savoir le capitaine Flint dans Black Sails: "civilizations needs their monsters".
Le monstre, le sauvage, le barbare, c'est celui en opposition duquel une civilisation, une culture se définit. Une civilisation a BESOIN de ses monstres pour rester cohérente. Car elle ne se définit qu'en opposition à eux.
Je vais me risquer à une petite analyse certainement très critiquable, un peu trop déterministe, qui mériterait certainement 1000 nuances et précisions, mais qui cependant me semble assez pertinente au regard de mes lectures et de mon intérêt pour le sujet.
Un groupe humain, c'est un groupe familial. Il n'y a que ça de réellement légitime et ancré dans nos instincts sociaux. Dès qu'on passe à une société plus complexe, il faut un ciment, quelque chose qui donne du sens à cette réunion. Ca peut être un intérêt commun: exploitation d'une ressource, protection plus efficaces.
Ce qui cimente le groupe c'est un sentiment d'appartenance à une entité commune. Mais comment définir cette entité commune? Pourquoi avec eux et pas avec les autres? Pourquoi faire perdurer cette association plus que nécessaire? Parce qu'on partage des rites, des coutumes, des croyances, des pratiques, un art... Les autres, ce sont ceux qui ne partagent pas ces dernières. Dans beaucoup de peuples primitifs, le mot qui désigne la tribu est synonyme du mot "humain". Ca ne veut pas dire que les autres sont considérés comme des non humains, ce mot n'a pas la même signification pour ces peuplades, mais ça veut dire qu'il y a plusieurs humanités qui dans ces cultures se confondent avec la notion de cultures.
Avec le temps ces groupes grossissent, assimilent d'autres groupes. Les rites qui lient ses composantes deviennent plus forts et s'enracinent à mesure que leurs origines deviennent plus floues et se perdent dans le temps. Elles deviennent des mythes. Et dans ces mythes, il y a la notion de ce qui est "normal" et de ce qui ne l'est pas, l'hors monde, le chaos... et ce chaos est souvent représenté sous la forme d'êtres, de démons, de géants, qui incarnent ce que l'humain n'est pas (j'y reviendrai).
Quand des civilisations complexes se sont mises à se développer, dans une logique de croissance et d'extension, il a fallu non seulement protéger les ressources accumulées, mais aussi s'emparer des ressources en dehors de son territoire.... là où il y avait d'autres gens. Et naturellement, ces gens sont devenus les monstres, les sauvages. Surtout ceux qui n'avaient pas développés encore de telles civilisations: ils représentaient l'état où l'on risque de retomber si on ne parvient pas à faire perdurer la civilisation. Civilisation qui de plus en plus concentre les richesses et le pouvoir, richesses et pouvoir jamais imaginés avant, entre les mains d'une petite élite dirigeante.... qui comprend bien que son intérêt n'est pas de revenir à un stade pré civilisationnel. Ce stade est donc rapidement identifié dans les mythes comme un chaos abominable, la fin de tout, les loups ou le serpent qui mangent le soleil et autres croyances eschatologiques.
Parmis les monstres et les sauvages on classe aussi naturellement les hors la loi, les rebelles, bref, tout ce qui menace cet ordre civilisationnel.
Au fur et à mesure que les civilisations se développent et se succèdent, les suivantes n'étant jamais totalement indépendantes et totalement nouvelles par rapport aux précédentes (notre civilisation doit tout au Christianisme occidental qui doit tout à Rome qui doit tout à la Grèce, qui doit tout aux Perses et aux Phéniciens, qui doivent tout aux mésopotamiens et aux égyptiens...etc, il y a une nette filiation dans les idéologiques qui sous tendent toutes ces grandes civilisations pour l'Occident), cette idée d'un en dehors sombre et effrayant devient un moteur pour s'étendre et s'approprier des ressources et du territoire: on invente le barbare. Le barbare, c'est l'autre, celui qui n'est pas comme nous et dès l'antiquité avec un certain déterminisme, pas encore racial, mais géographique (voir la "théorie des climats").
L'idée est qu'il y a un ordre civilisationnel éclairé et universel qui doit s'imposer au monde face aux ténèbres de la barbarie. Ce sont les Grecs, puis surtout les Romains, qui affineront cette idée jusqu'à en faire un vaste projet à vocation quasiment oecuménique... "projet" (je précise que je ne suis pas du tout en train de sous entendre une sorte de grand complot mondial s'étalant sur toute l'Histoire hein, très loin de moi cette idée... ce que j'expose me semble tenir de "mécanismes" sociaux et culturels qui se sont emballé au fil de l'Histoire mais qui sont en partie inconscient, en tous cas sur le temps long... encore que "l'empire qui doit durer 1000 ans", voir "le règne d'un million d'années" des pharaons, ce sont des chose que l'on retrouve déjà dans ces cultures: l'idée d'un ordre figé et absolu, d'une cause, d'une sorte de réalisation utopique de l'humanité) qui pour l'Europe sera largement concrétisé par l'Eglise Chrétienne au Moyen Age.
Le mythe du barbare, du sauvage, qui représente à la fois celui à qui il ne faut pas ressembler et celui qu'il faut civiliser, fonde le droit à régner de ceux que l'on considère comme les civilisés. Elle sous tend la notion de civilisation, lui donnant un socle légitimant ses entreprises impérialistes et colonisatrices. Sans barbare, il n'y a pas de civilisé pour le dire autrement. Désigner des barbares, des sauvages, c'est s'affirmer civilisés. Pourtant on constate que la sauvagerie, la barbarie, au sens "actes monstrueux" est plus souvent utilisé par les civilisés qu'à leur tour.
C'est totalement ce qui est remis en branle lorsque l'Europe se met à coloniser le monde et en particulier l'Amérique. Il y a une "destinée manifeste" (notion réellement mise en avant aux US début XIXème pour légitimer la conquête de l'Ouest, notamment face aux "sauvages" païens que sont les indiens. C'est ce qui a largement permis l'esclavage et la déportation de millions et de millions de personnes dans des conditions épouvantables d'un continent à un autre, qu'on a convertis des populations entières de gré ou de force, en déstructurant totalement des centaines (des milliers?) de cultures et de sociétés à travers le monde, à la religion qui soutenait l'ensemble, et qui était le véritable ciment de cette idéologie civilisatrice.
Quand le ciment religieux s'est affaibli, on a trouvé d'autres liants. La rationalité, le pragmatisme, les "lumières" de la civilisation face aux ténèbres de la croyance. Et on a continué encore avec les sauvages qui peu à peu se sont mués carrément en sous hommes: le rationalisme se devait de classer les hommes, de les faire rentrer dans des catégories, des hiérarchies, à l'image que l'on se faisait du monde.
Pour moi, les totalitarismes du XXème siècle, leurs idéologies raciales ou suprématistes, sont l'aboutissement ultime de cette idée de civilisation, son expression la plus radicale et la plus extrême. Mais qu'on ne s'y trompe pas: ça veut dire aussi que c'est l'entièreté de notre civilisation (et des civilisations en général hein... pour m'être intéressé récemment de plus prêt à l'Histoire de la Chine, on retrouve quand même pas mal les mêmes grandes lignes à ce niveau) qui est porteuse de la chose.
Si on suit cette interprétation, on voit que le sauvage n'est autre que le miroir du civilisé. Pour faire d'une personne ou d'un groupe quelque chose de sauvage, on va leur attribuer tout ce qu'on hait, tout ce qu'on trouve amoral, tout ce qu'on trouve laid. Mais où trouve-t-on ces éléments? En soi-même. Sur ce qu'on sait qu'on commet soi-même mais qu'on réprouve... mais qu'on comet quand même parce que ça sert nos intérêts (ou ceux de la classe dirigeante, peu importe). On a "besoin" de comettre ces actes. Et lesdits actes sont par une sorte de retournement dans un cas légitimes parce qu'ils portent l'idéologie de la civilisation. Mais à contrario, ils sont abominables quand ils sont commis par des barbares.
Et le chaos à Warhammer, c'est exactement ça. Le chaos est le reflet des civilisations humaines et de ce qu'elles engendrent, notamment en terme d'ambitions, de souffrances, de violence.
tu dis qu'on m'a rétorqué qu'à 40K, la menace était ce qui justifiait la violence extrême de l'imperium... Mais le chaos, c'est un reflet de l'imperium, son image miroir. L'Imperium prétend que la menace est si grande qu'on peut tout se permettre, la plus grande débauche de moyens, de brutalités et d'atrocités sordides (jusqu'à kidnapper des gamins pour les charcuter et les formater jusqu'à ce qu'ils deviennent des machines de guerre). C'est exactement ça le sauvage: c'est ce qui permet à la civilisation de s'octroyer le droit de commettre les pires horreurs.... le sauvage est une créature du civilisé, une créature dont il a besoin.
En fantasy, on fait d'avantage appel à la dimension mythique de tout ça: les différentes races et créatures représentent des facettes de l'humanité et de l'ordre mondiale tel que perçu par la culture à l'origine de ces mythes. Tolkien avait parfaitement perçu ce rôle des mythes de crystalliser ainsi la conception et le rapport au monde d'une culture. Les elfes ne sont pas tant une race supérieure que des êtres magiques incarnant certains aspects du monde et de l'humanité. Pareil pour les orcs (qui sont dans certaines versions des elfes à l'origine).
Le problème, c'est que notre civilisation moderne, reposant sur une pensée rationaliste et pragmatique... ben a eu tendance à rationnaliser tout ça. On ne peut dissocier la façon dont on a de relire les anciens mythes aujourd'hui de ce qu'il s'est passé dans le même temps et des mentalités que notre culture nous inculque. Et la fantasy peut vite prendre une tournure déterministe au niveau racial (ouais... raciste quoi) du simple fait qu'elle met en scène des races fondamentalement bonnes, les " civilisés qui luttent contre le mal" et des races fondamentalement mauvaises "les sauvages"... en opposant ainsi sauvages et civilisés, on fait revenir une notion des tréfonds de notre histoire mais passée à la moulinette de notre temps et de nos mentalités d'aujourd'hui.
Encore une fois, la notion de sauvagerie permet au civilisé de légitime ses actes au nom de la civilisation, qui est vécue comme quelque chose de fondamentalement nécessaire au point où on ne se pose même plus la question. Pour moi Sigmar et les SE c'est ça: un ordre absolu qui ne doute plus, qui va porter sa civilisation qu'il pense être LA civilisation aux quatre coins du monde face à la sauvagerie.
Ce que je veux dire c'est que ces univers auxquels nous tenons tant parce qu'ils nous évadent, que ce soit par leurs récits, les jeux qui les accompagnent, viennent de loin. Ils sont porteurs, parfois malgré eux, et surtout malgré leurs auteurs, de choses extrêmement fondamentales. Les êtres humains se sont toujours raconté des histoires pour tenter de rendre cohérent un monde et une existence qui semblent trop complexes pour être appréhendés dans leur ensemble. La fantasy et la SF, et j'ai envie de dire l'art en général, dont c'est quand même le propos, qui crée des univers, ne serait-ce que dans l'espace d'un tableau ou dans le temps d'un morceau de musique, véhiculent tous ces doutes, ces peurs, ces interrogations, ces colères, ces concepts que l'humanité s'est forgé pour des tas de raisons depuis "l'aube des temps".
Donc pour moi, il ne fait absolument aucun doute que n'importe lequel de ces univers, à part peut-être ceux qui tiennent sur un recto de papier à cigarettes, véhiculent un sous texte. L'inverse est pour moi impossible. Et je trouve dangereux de manipuler ces concepts et sous textes qu'ils véhiculent sans en connaître un minimum les tenants et les aboutissants. De les réduire à un simple divertissement dans le sens que nos sociétés aliénées et consuméristes donnent à ce terme.
Dans le cas de Warhammer, les appel du pied à des concepts assez radicaux, et notamment dans AOS cette confrontation entre ordre et chaos, entre civilisation et sauvagerie, est loin d'être dénuée de sens. Le fait que le "mal", ou tout du moins ce qui est vécu en tant que tel autant par les lecteurs que par les habitants fictifs de ce monde, soit en fait une image miroir de leurs propres errements et abus rendent ces univers vraiment riches, profonds et intéressant.
Bon j'ai voulu faire ça bien et je suis pas particulièrement convaincu que j'y suis arrivé. J'ai essayé d'exprimer des choses qui sont pour moi fondamentales, j'espère que j'y suis un peu arrivé et que ce n'est pas un abject fourre tout...
L'uniforme c'est une notion récente. Il sert là encore à montrer que les soldats qui se battent le font pour un Etat, pour une cause suprême, plutôt que pour tout un tas d'intérêts particuliers ou des guerriers qui cherchent à afficher une individualité. Et oui, l'aboutissement ultime de cette idée, c'est entre autres la mode automne hiver 43 d'Hugo Boss (pas méga adapté pour l'hiver d'ailleurs...) ou cette idée d'individus qui deviennent des statistiques et s'effacent totalement devant la collectivité, le "volk", au point d'être exterminables et sacrifiables sans états d'âme est porté à son paroxysme.
C'est pour ça que le nazisme revient tout le temps: il est l'exemple le plus radical, le plus caricatural même, de tout ça, quand on compare au nazisme, on ne compare pas qu'au nazisme, on fait allusion à tout ce qui le sous tend et a amené l'humanité là, avec le sous entendu que nous ne sommes pas à l'abris de ça, et que ce qu'on considère comme normal et habituel lui est lié, il n'est pas sorti un beau jour des enfers, il est notre créature, collectivement, l'aboutissement de tout ce que j'exposais plus haut... comme d'autres régimes et d'autres idéologies, et je ne parle même pas de dictatures tout aussi caricaturales actuelles mais bien d'aspects de nos mentalités et notre culture que l'on porte quel que soit le régime actuellement en place).
Evidemment il y a des nuances dans le fluff et encore une fois, évidemment, ça ne se rapporte pas qu'à ça. C'est ce qui fait toute la richesse d'un univers: je veux pas voir un univers de fantasy où on a des méchants nazis en armure... ça serait grossier et caricatural (hein les scénaristes de GOT? Hein Pathfinder? Encore que pour ce dernier, le royaume de nazis satanistes totalitaristes dans un univers à la donj' ça vaut son pesant de cacahuète (surtout quand le pays en face est une République démocratique, ancienne colonie d'un empire décadent). C'est l'enchevêtrement des inspirations et des allusions, des concepts mis en scène qui font la richesse d'un univers.
Je crois avoir déjà répondu au reste.
Merci si vous m'avez lu en entier.
etc, etc...
(Modification du message : 22-06-2021, 22:29 par Egill.)
(17-06-2021, 23:37)Slagash a écrit : Je suis à l'origine du sujet alors c'est la moindre des choses que je vienne discuter un peu, même si j'avoue j'ai pas mal hésité, je pense tout simplement pas qu'on soit d'accord.
Citation :C'est le fait aussi qu'ils soient masqués, parfaitement alignés (ce qui militairement n'a aucune utilité... se déplacer ensemble et maintenir une formation ça suffit): y a un anonymat: l'individu, l'humain, s'efface derrière la machine à tuer totalement dévouée qui ne se pose pas de question. C'est d'ailleurs parfaitement dans le thème su stormcast. Ces masques impassibles de série, tous les mêmes, ça a une symbolique forte: ces guerriers mettent leur individualité de côté pour servir une cause quoi qu'on leur ordonne: ils ne sont plus des individus mais une force, une sorte de ruche guerrière... et qu'on le veuille ou non (et je grossis sciemment le trait), c'est la même symbolique que les totenkopf sur certains képis d'il y a 3/4 de siècle.Désolé mais pour moi, y a rien qui va :
- être aligné c'est juste une démonstration de discipline et d'entrainement et donc, par extension, la vitrine de ce que propose le camps : la civilisation, par opposition aux sauvages.
voilà le point qui m'a vraiment interpellé dans ton message.
C'est une très vaste question et qui me tient particulièrement à coeur parce qu'elle est devenue une des problématiques centrales de mon intérêt/passion pour l'Histoire toute entière.
C'est quoi un sauvage? Ca existe vraiment dans notre monde un sauvage?
La "sauvagerie" plus globalement c'est quoi? C'est quasiment synonyme de barbarie en fait, et barbare peut être aisément interverti avec "sauvage".
Je vais reciter ma série préférée (qui l'est pour cette raison), à savoir le capitaine Flint dans Black Sails: "civilizations needs their monsters".
Le monstre, le sauvage, le barbare, c'est celui en opposition duquel une civilisation, une culture se définit. Une civilisation a BESOIN de ses monstres pour rester cohérente. Car elle ne se définit qu'en opposition à eux.
Je vais me risquer à une petite analyse certainement très critiquable, un peu trop déterministe, qui mériterait certainement 1000 nuances et précisions, mais qui cependant me semble assez pertinente au regard de mes lectures et de mon intérêt pour le sujet.
Un groupe humain, c'est un groupe familial. Il n'y a que ça de réellement légitime et ancré dans nos instincts sociaux. Dès qu'on passe à une société plus complexe, il faut un ciment, quelque chose qui donne du sens à cette réunion. Ca peut être un intérêt commun: exploitation d'une ressource, protection plus efficaces.
Ce qui cimente le groupe c'est un sentiment d'appartenance à une entité commune. Mais comment définir cette entité commune? Pourquoi avec eux et pas avec les autres? Pourquoi faire perdurer cette association plus que nécessaire? Parce qu'on partage des rites, des coutumes, des croyances, des pratiques, un art... Les autres, ce sont ceux qui ne partagent pas ces dernières. Dans beaucoup de peuples primitifs, le mot qui désigne la tribu est synonyme du mot "humain". Ca ne veut pas dire que les autres sont considérés comme des non humains, ce mot n'a pas la même signification pour ces peuplades, mais ça veut dire qu'il y a plusieurs humanités qui dans ces cultures se confondent avec la notion de cultures.
Avec le temps ces groupes grossissent, assimilent d'autres groupes. Les rites qui lient ses composantes deviennent plus forts et s'enracinent à mesure que leurs origines deviennent plus floues et se perdent dans le temps. Elles deviennent des mythes. Et dans ces mythes, il y a la notion de ce qui est "normal" et de ce qui ne l'est pas, l'hors monde, le chaos... et ce chaos est souvent représenté sous la forme d'êtres, de démons, de géants, qui incarnent ce que l'humain n'est pas (j'y reviendrai).
Quand des civilisations complexes se sont mises à se développer, dans une logique de croissance et d'extension, il a fallu non seulement protéger les ressources accumulées, mais aussi s'emparer des ressources en dehors de son territoire.... là où il y avait d'autres gens. Et naturellement, ces gens sont devenus les monstres, les sauvages. Surtout ceux qui n'avaient pas développés encore de telles civilisations: ils représentaient l'état où l'on risque de retomber si on ne parvient pas à faire perdurer la civilisation. Civilisation qui de plus en plus concentre les richesses et le pouvoir, richesses et pouvoir jamais imaginés avant, entre les mains d'une petite élite dirigeante.... qui comprend bien que son intérêt n'est pas de revenir à un stade pré civilisationnel. Ce stade est donc rapidement identifié dans les mythes comme un chaos abominable, la fin de tout, les loups ou le serpent qui mangent le soleil et autres croyances eschatologiques.
Parmis les monstres et les sauvages on classe aussi naturellement les hors la loi, les rebelles, bref, tout ce qui menace cet ordre civilisationnel.
Au fur et à mesure que les civilisations se développent et se succèdent, les suivantes n'étant jamais totalement indépendantes et totalement nouvelles par rapport aux précédentes (notre civilisation doit tout au Christianisme occidental qui doit tout à Rome qui doit tout à la Grèce, qui doit tout aux Perses et aux Phéniciens, qui doivent tout aux mésopotamiens et aux égyptiens...etc, il y a une nette filiation dans les idéologiques qui sous tendent toutes ces grandes civilisations pour l'Occident), cette idée d'un en dehors sombre et effrayant devient un moteur pour s'étendre et s'approprier des ressources et du territoire: on invente le barbare. Le barbare, c'est l'autre, celui qui n'est pas comme nous et dès l'antiquité avec un certain déterminisme, pas encore racial, mais géographique (voir la "théorie des climats").
L'idée est qu'il y a un ordre civilisationnel éclairé et universel qui doit s'imposer au monde face aux ténèbres de la barbarie. Ce sont les Grecs, puis surtout les Romains, qui affineront cette idée jusqu'à en faire un vaste projet à vocation quasiment oecuménique... "projet" (je précise que je ne suis pas du tout en train de sous entendre une sorte de grand complot mondial s'étalant sur toute l'Histoire hein, très loin de moi cette idée... ce que j'expose me semble tenir de "mécanismes" sociaux et culturels qui se sont emballé au fil de l'Histoire mais qui sont en partie inconscient, en tous cas sur le temps long... encore que "l'empire qui doit durer 1000 ans", voir "le règne d'un million d'années" des pharaons, ce sont des chose que l'on retrouve déjà dans ces cultures: l'idée d'un ordre figé et absolu, d'une cause, d'une sorte de réalisation utopique de l'humanité) qui pour l'Europe sera largement concrétisé par l'Eglise Chrétienne au Moyen Age.
Le mythe du barbare, du sauvage, qui représente à la fois celui à qui il ne faut pas ressembler et celui qu'il faut civiliser, fonde le droit à régner de ceux que l'on considère comme les civilisés. Elle sous tend la notion de civilisation, lui donnant un socle légitimant ses entreprises impérialistes et colonisatrices. Sans barbare, il n'y a pas de civilisé pour le dire autrement. Désigner des barbares, des sauvages, c'est s'affirmer civilisés. Pourtant on constate que la sauvagerie, la barbarie, au sens "actes monstrueux" est plus souvent utilisé par les civilisés qu'à leur tour.
C'est totalement ce qui est remis en branle lorsque l'Europe se met à coloniser le monde et en particulier l'Amérique. Il y a une "destinée manifeste" (notion réellement mise en avant aux US début XIXème pour légitimer la conquête de l'Ouest, notamment face aux "sauvages" païens que sont les indiens. C'est ce qui a largement permis l'esclavage et la déportation de millions et de millions de personnes dans des conditions épouvantables d'un continent à un autre, qu'on a convertis des populations entières de gré ou de force, en déstructurant totalement des centaines (des milliers?) de cultures et de sociétés à travers le monde, à la religion qui soutenait l'ensemble, et qui était le véritable ciment de cette idéologie civilisatrice.
Quand le ciment religieux s'est affaibli, on a trouvé d'autres liants. La rationalité, le pragmatisme, les "lumières" de la civilisation face aux ténèbres de la croyance. Et on a continué encore avec les sauvages qui peu à peu se sont mués carrément en sous hommes: le rationalisme se devait de classer les hommes, de les faire rentrer dans des catégories, des hiérarchies, à l'image que l'on se faisait du monde.
Pour moi, les totalitarismes du XXème siècle, leurs idéologies raciales ou suprématistes, sont l'aboutissement ultime de cette idée de civilisation, son expression la plus radicale et la plus extrême. Mais qu'on ne s'y trompe pas: ça veut dire aussi que c'est l'entièreté de notre civilisation (et des civilisations en général hein... pour m'être intéressé récemment de plus prêt à l'Histoire de la Chine, on retrouve quand même pas mal les mêmes grandes lignes à ce niveau) qui est porteuse de la chose.
Si on suit cette interprétation, on voit que le sauvage n'est autre que le miroir du civilisé. Pour faire d'une personne ou d'un groupe quelque chose de sauvage, on va leur attribuer tout ce qu'on hait, tout ce qu'on trouve amoral, tout ce qu'on trouve laid. Mais où trouve-t-on ces éléments? En soi-même. Sur ce qu'on sait qu'on commet soi-même mais qu'on réprouve... mais qu'on comet quand même parce que ça sert nos intérêts (ou ceux de la classe dirigeante, peu importe). On a "besoin" de comettre ces actes. Et lesdits actes sont par une sorte de retournement dans un cas légitimes parce qu'ils portent l'idéologie de la civilisation. Mais à contrario, ils sont abominables quand ils sont commis par des barbares.
Et le chaos à Warhammer, c'est exactement ça. Le chaos est le reflet des civilisations humaines et de ce qu'elles engendrent, notamment en terme d'ambitions, de souffrances, de violence.
tu dis qu'on m'a rétorqué qu'à 40K, la menace était ce qui justifiait la violence extrême de l'imperium... Mais le chaos, c'est un reflet de l'imperium, son image miroir. L'Imperium prétend que la menace est si grande qu'on peut tout se permettre, la plus grande débauche de moyens, de brutalités et d'atrocités sordides (jusqu'à kidnapper des gamins pour les charcuter et les formater jusqu'à ce qu'ils deviennent des machines de guerre). C'est exactement ça le sauvage: c'est ce qui permet à la civilisation de s'octroyer le droit de commettre les pires horreurs.... le sauvage est une créature du civilisé, une créature dont il a besoin.
En fantasy, on fait d'avantage appel à la dimension mythique de tout ça: les différentes races et créatures représentent des facettes de l'humanité et de l'ordre mondiale tel que perçu par la culture à l'origine de ces mythes. Tolkien avait parfaitement perçu ce rôle des mythes de crystalliser ainsi la conception et le rapport au monde d'une culture. Les elfes ne sont pas tant une race supérieure que des êtres magiques incarnant certains aspects du monde et de l'humanité. Pareil pour les orcs (qui sont dans certaines versions des elfes à l'origine).
Le problème, c'est que notre civilisation moderne, reposant sur une pensée rationaliste et pragmatique... ben a eu tendance à rationnaliser tout ça. On ne peut dissocier la façon dont on a de relire les anciens mythes aujourd'hui de ce qu'il s'est passé dans le même temps et des mentalités que notre culture nous inculque. Et la fantasy peut vite prendre une tournure déterministe au niveau racial (ouais... raciste quoi) du simple fait qu'elle met en scène des races fondamentalement bonnes, les " civilisés qui luttent contre le mal" et des races fondamentalement mauvaises "les sauvages"... en opposant ainsi sauvages et civilisés, on fait revenir une notion des tréfonds de notre histoire mais passée à la moulinette de notre temps et de nos mentalités d'aujourd'hui.
Encore une fois, la notion de sauvagerie permet au civilisé de légitime ses actes au nom de la civilisation, qui est vécue comme quelque chose de fondamentalement nécessaire au point où on ne se pose même plus la question. Pour moi Sigmar et les SE c'est ça: un ordre absolu qui ne doute plus, qui va porter sa civilisation qu'il pense être LA civilisation aux quatre coins du monde face à la sauvagerie.
Ce que je veux dire c'est que ces univers auxquels nous tenons tant parce qu'ils nous évadent, que ce soit par leurs récits, les jeux qui les accompagnent, viennent de loin. Ils sont porteurs, parfois malgré eux, et surtout malgré leurs auteurs, de choses extrêmement fondamentales. Les êtres humains se sont toujours raconté des histoires pour tenter de rendre cohérent un monde et une existence qui semblent trop complexes pour être appréhendés dans leur ensemble. La fantasy et la SF, et j'ai envie de dire l'art en général, dont c'est quand même le propos, qui crée des univers, ne serait-ce que dans l'espace d'un tableau ou dans le temps d'un morceau de musique, véhiculent tous ces doutes, ces peurs, ces interrogations, ces colères, ces concepts que l'humanité s'est forgé pour des tas de raisons depuis "l'aube des temps".
Donc pour moi, il ne fait absolument aucun doute que n'importe lequel de ces univers, à part peut-être ceux qui tiennent sur un recto de papier à cigarettes, véhiculent un sous texte. L'inverse est pour moi impossible. Et je trouve dangereux de manipuler ces concepts et sous textes qu'ils véhiculent sans en connaître un minimum les tenants et les aboutissants. De les réduire à un simple divertissement dans le sens que nos sociétés aliénées et consuméristes donnent à ce terme.
Dans le cas de Warhammer, les appel du pied à des concepts assez radicaux, et notamment dans AOS cette confrontation entre ordre et chaos, entre civilisation et sauvagerie, est loin d'être dénuée de sens. Le fait que le "mal", ou tout du moins ce qui est vécu en tant que tel autant par les lecteurs que par les habitants fictifs de ce monde, soit en fait une image miroir de leurs propres errements et abus rendent ces univers vraiment riches, profonds et intéressant.
Bon j'ai voulu faire ça bien et je suis pas particulièrement convaincu que j'y suis arrivé. J'ai essayé d'exprimer des choses qui sont pour moi fondamentales, j'espère que j'y suis un peu arrivé et que ce n'est pas un abject fourre tout...
(17-06-2021, 23:37)Slagash a écrit :Citation :Alors pour cette dernière comparaison, j'y vais un peu fort, oui. C'est certainement pas ce que GW a voulu faire passer. Des casques avec visières en formes de visages, y en a eu, chez les Romains notamment. Mais le même de série? Avec la même armure pour tous le monde?Ben, un uniforme, par définition ça a quand même vocation à être... uniforme.
Là encore je vois pas comment tu arrives à dire "ok on va me dire les romains, mais vraiment ?" alors qu'avant tu fais le lien casque-totenkopf. Les armures romaines te semblent quand même pas plus proche que la mode automne-hiver 43 de Hugo Boss ?
L'uniforme c'est une notion récente. Il sert là encore à montrer que les soldats qui se battent le font pour un Etat, pour une cause suprême, plutôt que pour tout un tas d'intérêts particuliers ou des guerriers qui cherchent à afficher une individualité. Et oui, l'aboutissement ultime de cette idée, c'est entre autres la mode automne hiver 43 d'Hugo Boss (pas méga adapté pour l'hiver d'ailleurs...) ou cette idée d'individus qui deviennent des statistiques et s'effacent totalement devant la collectivité, le "volk", au point d'être exterminables et sacrifiables sans états d'âme est porté à son paroxysme.
C'est pour ça que le nazisme revient tout le temps: il est l'exemple le plus radical, le plus caricatural même, de tout ça, quand on compare au nazisme, on ne compare pas qu'au nazisme, on fait allusion à tout ce qui le sous tend et a amené l'humanité là, avec le sous entendu que nous ne sommes pas à l'abris de ça, et que ce qu'on considère comme normal et habituel lui est lié, il n'est pas sorti un beau jour des enfers, il est notre créature, collectivement, l'aboutissement de tout ce que j'exposais plus haut... comme d'autres régimes et d'autres idéologies, et je ne parle même pas de dictatures tout aussi caricaturales actuelles mais bien d'aspects de nos mentalités et notre culture que l'on porte quel que soit le régime actuellement en place).
(17-06-2021, 23:37)Slagash a écrit :Citation :Je veux dire: c'est pas juste une confrérie guerrière qui se motive. C'est une armée formatée et fanatisée. Une bande de guerriers vikings ou celtes, ou même de chevaliers médiévaux, c'étaient aussi des combattants redoutables, avec des qualités martiales certaines, et qui pouvaient gueuler un coup ou frapper leur bouclier pour se motiver mais c'étaient aussi des gens très attachés à une certaine individualité: celle du héros qui par son courage tente d'impressionner les dieux pour se faire une place à leurs côtés.Tu sais pourtant que les stormcasts gardent une bonne partie de leur individualité, de leur personnalité, quand à "se battre héroiquement pour attirer l'attention des dieux" c'est quand même hyper proches là, ils ont littéralement été créé par un Dieu, donc niveau héroïsme ça va quand même. C'est pas parce qu'on porte le même uniforme qu'on se fond totalement, des banquiers aux armées modernes en passant par une équipe de foot, tout le monde est en uniforme, ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de place à l'individu.
Evidemment il y a des nuances dans le fluff et encore une fois, évidemment, ça ne se rapporte pas qu'à ça. C'est ce qui fait toute la richesse d'un univers: je veux pas voir un univers de fantasy où on a des méchants nazis en armure... ça serait grossier et caricatural (hein les scénaristes de GOT? Hein Pathfinder? Encore que pour ce dernier, le royaume de nazis satanistes totalitaristes dans un univers à la donj' ça vaut son pesant de cacahuète (surtout quand le pays en face est une République démocratique, ancienne colonie d'un empire décadent). C'est l'enchevêtrement des inspirations et des allusions, des concepts mis en scène qui font la richesse d'un univers.
Je crois avoir déjà répondu au reste.
Merci si vous m'avez lu en entier.
(21-06-2021, 23:25)Jalikoud a écrit : Les heaumes des stormcast me font penser à deux choses :
- les masques funéraires antiques, en particulier le fameux masque d'Agamemnon (enfin sans la moustache)
- les masques de guerre aztèque (en moins ouvragé). C'est bête je me souviens bien d'avoir vu un masque avec une sorte de halo assez semblable dans la forme à celui des Stormcast mais impossible de retrouver l'illustration.
etc, etc...